Quand la douleur devient une maladie.
« Multi-douloureux », « douloureux chroniques » abandonnés, vous êtes nombreux à lire mes petits essais.
J’essaie depuis de nombreuses années de partager mon expérience de « mécanicien » du corps humain, mais je n’ai pas fait beaucoup de place à la douleur qui s’installe et ne vous lâche plus. Pourtant, c’est une expérience terrible qui mène trop souvent à de longues errances (médicaments, psychothérapies…) On dit, à juste titre que, peu importe la cause, à partir de quelques mois la douleur devient une maladie… elle évolue pour son propre compte !
Les librairies sont pleines de livres qui invitent à suivre telle ou telle voie censée apaiser, voire faire accéder au bonheur (pas moins). J’avoue me méfier grandement de cette tendance et, récemment – par hasard –, j’ai retrouvé un vieux compagnon de route… Arthur Rubinstein a bercé une partie de mon adolescence (le concerto n° 3 de Rachmaninov, surtout.)
Et j’ai découvert quelques aphorismes que j’aimerais partager, car je pense qu’ils peuvent nous mettre sur un chemin différent, hors des lieux communs du moment. Et nous aider à vivre. Car douleurs mécaniques ou non, nous souffrons tous du même mal : nous savons que nous mourrons comme ceux que nous aimons…
Voici en partage :
J’ai toujours été un collectionneur de moments d’éternité.
Arthur Rubinstein.
Je suis né avec cinq sens et un sens pour la musique…
Il faut savoir aimer la vie sans condition…
J’ai toujours été un collectionneur de moments d’éternité.
Arthur Rubinstein.
Sa fille Éva Rubinstein confirme la curiosité de son père pour tout ce qui nourrissait aussi son art : la littérature, les voyages, les visites de musées, etc. Un style de vie qui a aussi favorisé son imagination.
Et à propos de ses concerts : « J’ai besoin du risque du moment », disait-il.
Cette recherche de moments d’éternité m’évoque « le sentiment océanique » de Romain Rolland
Un rêve confiné d’aubes marines, d’embruns et de vagues à l’algue.
Gustave Courbet, La Mer
Le « sentiment océanique » est une sorte d’élan mystique et de confusion avec le grand Tout, comme la vague, une notion psychologique ou spirituelle formulée par Romain Rolland qui se rapporte à l’impression ou à la volonté de se ressentir en unité avec l’univers (ou avec ce qui est « plus grand que soi »), parfois hors de toute croyance religieuse. Ce sentiment peut être lié à la sensation d’éternité.
Paul Valéry dut en faire aussi l’expérience et Brassens dans « Mourir pour des idées » joue avec un vers de Valéry :
« Et c’est la mer, la mer toujours recommencée. »
Souvenir de moments d’éternité et de fusion avec le grand tout ?
Peu importe ! Devenir chasseur de moments d’éternité pourrait, me semble-t-il, nous rendre la vie plus douce, moins douloureuse.
Personnellement, je suis un chasseur de couchers de soleil et d’aphorismes lumineux tels que :
J’ai toujours été un collectionneur de moments d’éternité. Rubinstein
Être moderne, c’est bricoler dans l’incurable. Cioran
La conscience comme fatalité. Seidel (cité par Cioran)
Pour trouver l’âme, il faut la perdre. A. Louria
Depuis que j’ai découvert l’aphorisme de Rubinstein, j’ai bien l’intention d’intensifier mes chasses au cours des quelques années qui me restent à vivre et collectionner les moments d’éternité en me tenant au plus loin des vendeurs de bonheur (et ils sont légion en ce moment).
Je viens de lire « Odes » de David Van Reybrouck. L’ode de la page 33 commence ainsi :
La semaine dernière, je marchais dans le centre d’Arezzo où il fallait absolument me rendre pour ne rien faire.
David Van Reybrouck, un homme aux semelles de vent, invite, une nouvelle fois, ceux qui le lisent à -comme lui- collectionner les moments d’éternité.